Des membres de la garde présidentielle nigérienne détiennent depuis le 26 juillet le président démocratiquement élu Mohamed Bazoum. Ils ont déclaré avoir pris le contrôle du gouvernement et suspendu la constitution dans ce pays de 25 millions d’habitants.
Des manifestations contre cette prise de pouvoir inconstitutionnelle ont été violemment réprimées.
Les motivations pour cette tentative de coup d’État ne sont pas évidentes. Des informations suggèrent qu’elle aurait été provoquée par le chef sortant de la garde présidentielle, mécontenté d’avoir été mis sur la touche. Comme lors d’autres putschs dans la région, les griefs en matière de sécurité et pauvreté ont été avancés pour justifier cette action inconstitutionnelle.
Le chef d’état-major du Niger, le général Abdou Sidikou Issa a annoncé son soutien à la tentative de putsch le 27 juillet, ostensiblement afin d’éviter une effusion de sang.
Des pilleurs soutenant le putsch ont ensuite mis le feu au quartier général du parti au pouvoir. De nombreux immeubles et voitures ont ensuite été incendiés et des commerces pillés dans les rues de Niamey.
« Des manifestations contre cette prise de pouvoir inconstitutionnelle ont été violemment réprimées ».
Le président Bazoum a refusé de démissionner et a appelé les nigériens à résister et à protéger les gains démocratiques “durement gagnés” du pays. Le ministre des Affaires étrangères Hassoumi Massaoudou et d’autres membres importants du gouvernement ont fait écho à l’appel du président.
La CEDEAO, l’Union africaine, l’Union européenne, les États-Unis et d’autres gouvernements démocratiques ont fortement condamné la tentative de putsch et ont appelé les militaires à rentrer dans leurs casernes.
Le chef du groupe Wagner, Yevgeni Prigozhine, qui se trouve actuellement à Saint Petersbourg pour le sommet Russie-Afrique, a accueilli le putsch au Niger.
Si le Niger est depuis quelques années dans le viseur de campagnes de désinformation complexes russes, l’implication de la Russie dans la tentative de putsch n’est cependant pas claire. Après le coup d’État d’Octobre 2022 au Burkina Faso, des chaines Telegram pro-russes avaient suggéré le Niger comme une future cible. Des réseaux de désinformation associés au groupe Wagner avaient par ailleurs par deux fois essayé de fomenter des rumeurs d’un putsch au Niger, y compris à travers une campagne savamment calculée pendant un voyage à l’étranger du président Bazoum en février 2023.
Si la situation reste fluide et que beaucoup n’est pas clair, cette fiche d’information donne le contexte pertinent et le cadre de cette tentative de renverser le gouvernement démocratiquement élu du Niger.
Surmonter l’histoire de la gouvernance militaire
Le président Mohamed Bazoum a gagné l’élection présidentielle de février 2021 avec 56 % des suffrages exprimés. Ce scrutin a été largement considère comme libre et équitable. Bazoum a succédé au président Mahamadou Issoufou, qui s’est retiré après son second mandat, comme prévu par la constitution qui les limite à deux.
Cette succession fut la première instance d’un transfert pacifique du pouvoir dans l’histoire du Niger.
Cette trajectoire démocratique ne faisait que commencer après une longue histoire de gouvernance militaire au Niger, qui a connu quatre putschs entre 1974 et 2010.
Cela avait été caractérisé par une longue période de stagnation dans l’un des pays les plus pauvres au monde. Durant ces 35 années, le revenu par habitant des Nigériens avait en effet diminué de 29%. Le Niger avait subi des taux de croissance négatifs pendant les deux tiers de ces années, des décennies de développement perdues par la mauvaise gouvernance.
Des progrès démocratiques en matière de développement et de sécurité
Les tendances économiques et sécuritaires opposées observées sous les gouvernements civils et militaires au Niger ne sauraient en rien justifier la tentative de putsch.
Dans la décennie sous Issoufou et Bazoum, le revenu par personne a augmenté de 26 % au Niger, renversant la longue tendance des décennies précédentes. La croissance économique des dernières années demeure forte. La Banque mondiale prédit que croissance du produit national brut réel devrait atteindre presque 7 % en 2023 et 12,5 % en 2024.
Malgré l’augmentation des prix des denrées alimentaires causée par la pandémie et l’invasion russe de l’Ukraine, le Niger a réussi à maintenir son taux d’inflation à environ 4%, le taux le plus bas de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
Le Niger est aussi aux prises avec l’arrivée de 300 000 refugiés fuyant les conflits au Mali et au Nigeria, ainsi que qu’avec 350 000 personnes déplacées en interne causées par les attaques des islamistes militants débordant de ses voisins.
Cependant, l’indice de développement humain du Niger s’améliore constamment depuis dix ans.
Sous la gouvernance des civils, le rang du Niger dans l’indice de corruption de Transparency International s’est aussi progressivement amélioré.
Le Niger en 2023 sous un gouvernement civil
- Croissance économique projetée de 7%
- Diminution de 53 % dans les décès liés aux groupes islamistes militants sahéliens
- Taux d’inflation de 4%, le plus bas de Union économique et monétaire ouest africaine
Sous ses présidents civils démocratiquement élus, le Niger est parvenu à renforcer la redevabilité publique, y compris parmi ses forces de défense et de sécurité. Le gouvernement a ouvert plusieurs enquêtes de haut niveau sur le secteur de la défense, mettant à jour des diversions et débouchant sur des enquêtes civiles et criminelles. Ces enquêtes ont révélé le besoin d’améliorer la surveillance des contrats de passations de marches pour renforcer le secteur de la sécurité du Niger qui comprend 58,000 agents de l’armée, de la gendarmerie, de la garde nationale et d’une petite armée de l’air. Les économies identifiées se sont avérées cruciales pour le financement du budget annuel de la défense du Niger, qui s’élève à 260 millions de dollars et représente 7% des dépenses du gouvernement.
Le Niger a été largement salué pour sa réponse sécuritaire à la menace des islamistes militants. Les évènements violents signalés au Niger représentent moins de 10% du total au Sahel. Cependant, l’expulsion des forces françaises et les restrictions imposées aux soldats de la paix de la MINUSMA ont provoqué l’essor de la violence au Mali. Cela a par conséquent engendré une hausse des évènements violents au Niger en 2023. Toutefois, le taux de décès attribuables aux attaques des groupes islamistes militants au Niger a baissé de 53 % par rapport à 2022.
Une crise de putschs en Afrique
L’Afrique a subi sept coups d’État militaires depuis 2020 : au Mali (deux), au Burkina (deux), en Guinée, au Tchad et au Soudan. Ces putschs se sont appuyés sur d’autres cas dans lesquels des armées dominantes ont détourné des successions afin de retenir l’autorité finale. Cela s’est produit en Égypte, au Zimbabwe, en Algérie et au Burundi. Dans certains cas, des dirigeants élus ont sapé les freins et contrepoids démocratiques afin de consolider leur emprise sur le pouvoir et de prolonger leurs mandats, comme avec l’auto-coup d’État en Tunisie. Quand un putsch est toléré dans un pays, cela ouvre la porte à d’autres militaires de s’approprier le pouvoir.
« Quand un putsch est toléré dans un pays, cela ouvre la porte à d’autres militaires de s’approprier le pouvoir ».
Nombre de ces putschs ont été exécutés par des colonels à la tête de la garde présidentielle ou d’unités de forces spéciales plutôt que par les dirigeants militaires au sommet de la chaine de commandement. Ces unités d’élite bénéficient souvent de formation spécialisée, d’équipement et de salaires pour augmenter leur capacité.
Au fil du temps, ces unités se sont politisées et accoutumées à la place privilégiée qu’elles occupent près du centre du pouvoir. Cette politisation mine la nature sensée être apolitique de l’armée, leur permettant de saisir le pouvoir pour elles-mêmes.
Récemment, les participants aux putschs justifient inévitablement leurs actes sur la base de griefs, prétendus ou réels, en matière de sécurité et de développement. Mais les nouvelles juntes africaines ne se sont pas avérées réformistes. Les évènements attribuables aux extrémistes violents ont triplé au Mali et au Burkina Faso depuis les putschs qui s’y sont produits. Aucune de ces juntes n’a sérieusement tenté d’entamer une transition de leur pays vers un retour à la démocratie. En effet, ces juntes se sont focalisées sur leur prise et leur propre maintien au pouvoir comme une fin en soi.
« En effet, ces juntes se sont focalisées sur leur prise et leur propre maintien au pouvoir comme une fin en soi ».
De fait, l’Afrique de l’Ouest (et plus généralement l’Afrique) fait face, comme elle l’avait fait dans les années 1960 à 1980, à une recrudescence de militaires qui revendiquent leur droit à gouverner.
L’influence globale d’acteurs autoritaires, notamment celle de la Russe, définit aussi la récente vague de coups d’État. Des campagnes de désinformation russes attaquant les gouvernements civils, leur capacite à assurer la sécurité et liant ces gouvernements aux sentiments anticoloniaux ont précédé les putschs, que ce soit au Mali, au Burkina Faso ou au Niger. La Russie s’est ensuite posée comme le principal meneur de claque (et bénéficiaire) de ces prises de pouvoir par les militaires en Afrique.
En l’absence de soutien domestiques, les gouvernements militaires non redevables sont d’autant plus vulnérables à sacrifier la souveraineté nationale en service à leur mécène étranger.
Le rôle primordial des acteurs internationaux
Afin de réussir, les putschs doivent êtres entérinés par les acteurs régionaux et internationaux. Si les acteurs internationaux s’y refusent, les putschistes se retrouvent politiquement isolés, d’autant plus s’il ne leur est pas permis d’accéder aux comptes financiers souverains de l’État. De fait, les acteurs internationaux jouent un rôle crucial dans la validation des putschs.
D’un point vue pratique, celui de la finance, le Niger reçoit par exemple 1,8 milliards de dollars d’aide internationale, la grande majorité en provenance de pays démocratique. Les États-Unis sont le plus important donateur bilatéral du Niger, avec 238 millions de dollars par an en assistance.
« Afin de réussir, les putschs doivent être entérinés par les acteurs régionaux et internationaux ».
La politique de non-ingérence de l’Organisation de l’unité africaine a été longtemps critiquée pour avoir encouragé les putschistes du continent. Ce n’est pas une coïncidence si l’Afrique a subi 82 putschs entre 1960 et 2000, contribuant à l’instabilité, la corruption, les abus des droits humains, l’impunité et la pauvreté qui ont caractérisé nombre de pays africains pendant cette période.
Le passage par l’Union africaine, lors de sa création en 2000, à une politique de non-indifférence a modifié ce calcul, contribuant à une réduction dramatique dans le nombre de coups pendant les deux premières décennies du nouveau millénaire. Mais la perception que les acteurs régionaux et internationaux étaient de moins en moins dévoués aux pratiques démocratiques, couplée aux distractions de la pandémie, a accompagné l’essor récent des coups d’État en Afrique.
Les institutions régionales africaines et les acteurs démocratiques internationaux ont donc un rôle essentiel à jouer dans le maintien des normes démocratiques. Ils se doivent d’indiquer clairement que les partenariats sont fondés sur un engagement fort aux pratiques démocratiques. Ces dernières sont le socle d’un soutien important à la diplomatie, au développement, à l’aide sécuritaire et à la promotion de l’investissement prive
Les acteurs régionaux et internationaux doivent par ailleurs imposer des coûts réels aux putschistes. D’y faillir ne ferait qu’acquiescer à de nouveaux coups d’État. Cela inclus de ne pas reconnaitre ceux qui prennent illégalement le pouvoir, la suspension de l’aide financière et l’allègement de la dette, le gel des avoir et d’interdire aux putschistes l’accès au système financier international.
Le Niger, le Mali, le Burkina Faso et la Guinée ne s’étaient que récemment avancés sur la voie de la démocratie, après que des décennies de gouvernements militaires avaient perpétué la pauvreté et l’instabilité. Étant donné que ces pays ne faisaient que commencer à s’avancer sur leur trajectoire démocratique et étaient des États fragiles, il fallait s’attendre à ce que leur route soit jonchée d’obstacles et de griefs divers à surmonter. Cependant, ces mêmes griefs sont souvent cités comme une raison pour tolérer les putschs.
« Les acteurs régionaux et internationaux doivent par ailleurs imposer des coûts réels aux putschistes. D’y faillir ne ferait qu’acquiescer à de nouveaux coups d’État ».
Une leçon qui fait défaut à ces expérience démocratiques est celle de comment gérer de manière constructive les véritables griefs auxquels fait face toute société. La démocratie ne garantit pas la bonne gouvernance. Cependant, elle garantit les moyens de faire pression sur un gouvernement pour qu’il s’auto-corrige que ce soit à travers des élections, des enquêtes parlementaires, le journalisme d’investigation, les commissions anticorruption, les protecteurs et les médiateurs publics, les manifestations etc. Le Niger a fait de nombreux progrès dans nombre de ces domaines pendant son expérience démocratique, des processus qui se verraient différés par l’avènement d’une nouvelle junte.
Pendant la période de réflexion suivant une autre tentative de coup d’État sur le continent, il faudra prioriser la réflexion sur les chemins alternatifs pour résoudre ces griefs.
Ressources complémentaires
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Au Mali, la catastrophe s’accélère sous le régime de la junte », Infographie, 21 juillet 2023.
- Joseph Siegle, « La perte progressive de la souveraineté africaine », Africa Year : in Review 2022, The Wilson Center, 8 février 2023.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Comprendre le dernier coup d’État au Burkina Faso », Éclairage, 1 novembre 2022
- Daniel Eizenga, « La « transition » orchestrée par le gouvernement militaire tchadien dérape », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 23 novembre 2022.
- Daniel Eizenga, « L’instabilité persistante au Tchad, l’héritage d’Idriss Déby », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 3 mai 2020.
- Joseph Siegle et Daniel Eizenga, « Coup d’État en Guinée : Comment faire marche-arrière », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 20 septembre 2021.
- Joseph Siegle, « Les coups d’État en Afrique et le rôle des acteurs extérieurs », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 3 janvier 2022.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Autocratie et instabilité en Afrique », Infographie, 9 mars 2021.
- Centre d’études stratégiques de l’Afrique, « Au Mali, la gouvernance militaire en héritage », Éclairage, 29 septembre 2020.
- Joseph Siegle et Daniel Eizenga, « La principale leçon en construction de la démocratie du coup d’État au Mali : la junte doit partir », The Hill, 21 septembre 2020.
- Joseph Siegle et Candace Cook, « En Afrique, le contournement des limites de mandats fragilise la gouvernance », Infographie, 14 septembre 2020.
- Joseph Siegle et Daniel Eizenga, « Attention au coup d’État populaire », AllAfrica.com, 1 septembre 2020.
- Paul Nantulya, « Le Burundi après Nkurunziza : Les généraux en ordre de marche », Éclairage, Centre d’études stratégiques de l’Afrique, 7 juillet 2020.